16.2.10

Anniphobie

En moyenne je me rends à environ 0,2 anniversaire par an. Si cela existait je serais anniphobique.
Il y a deux semaines j'ai accepté une invitation, après avoir évidemment longtemps hésité. Par la suite je n'y ai qu'épisodiquement repensé, avec appréhension cependant, jusqu'à la veille où j'ai commencé à paniquer et à envisager d'annuler. Un petit message "je suis trop malade" et le tour serait joué. Le matin même la panique à son comble, avec frissons d'angoisse. Et sur le trajet l'éternelle analyse et lutte avec/contre moi-même. Écartelé entre la société et ce que je suis.
On peut se dire que les choses sont simples et qu'il y a des problèmes autrement plus difficiles à gérer. On peut entendre qu'il suffit de faire sauter les quelques petits blocages psychologiques. Comme on débarrasse un engrenage d'un grain de sable. Sauf qu'en l'occurrence il ne s'agit pas de blocages que l'on pourrait débloquer, mais d'incompatibilité. Et ça, ça ne se débloque pas.

Je ne saurai jamais choisir un cadeau. J'ai déjà écrit sur mon incompréhension du système des cadeaux. Ma partielle désactivation sociale, émotionnelle et en partie sentimentale, doit être trop grande pour que je saisisse l'essence de la chose. Ce n'est pas quelque chose que l'on pourrait débloquer en travaillant spécifiquement dessus, prétextant que n'importe qui peut avec un peu d'entraînement savoir choisir un cadeau (à plusieurs ou pas), c'est au delà de cela. J'ai souvent fait allusion à des planètes différentes, à des mondes différents, et là encore c'est une métaphore adaptée : ce n'est pas comme si j'étais sur la même planète, dans le même référentiel, et qu'il y avait donc toujours espoir que je puisse moi aussi me comporter comme autrui, c'est un référentiel tout autre, qui est incompatible.
Les psys débloquent peut-être parfois certaines choses, certains traumatismes, mettent le doigt sur ce qui est noué et le dénouent, et une fois que la machine est réparée ou rafistolée elle repart. Mais ils sont bien incapables de travailler lorsque la machine est un modèle différent. Pire, il se peut que cette autre machine ne soit même pas cassée, chose dont ils sont incapables de se rendre compte, et qu'ils essaient de la réparer comme ils feraient d'habitude, chose qui évidemment débouche sur un fiasco.

Je ne saurai jamais apprécier pleinement un repas en groupe. Même si le groupe est choisi admirablement, ma place à la table aussi, et le repas divin.
[Je sais que lorsqu'on lit cela on peut fermement avoir l'impression que je force le trait, joue un rôle, etc. Ce n'est pourtant le cas qu'à une hauteur infime (il serait idiot de dire que ça n'existe pas du tout, il est évident que lorsqu'on cherche à décrire quelque chose, à faire passer un message, une explication, et qu'en plus on écrit, alors il y a toujours une petite part de narration, ce qui n'a rien d'anormal puisqu'on est quand même quelque part le narrateur).]
Ce qui fut le cas en l'occurrence. Mais d'abord je ne tirerai vraisemblablement jamais un quelconque plaisir à manger ou à boire. Heureux ceux qui y parviennent. Ensuite une conversation est forcément composée de moments enrichissants, assez rares, et d'autres plus plats, sans intérêt voire puérils. Sur 4 heures passées autour d'une table il y a beaucoup à jeter. Le temps est mal utilisé et pourrait l'être à meilleur escient, ce qui me fatigue et m'agace.
[Je sais qu'on pourra se demander si je suis chef d'entreprise, si je sais faire la différence entre une situation amicale détendue sans recherche de productivité et un contexte professionnel. Ce n'est pas la question en fait, je suis loin d'être un fan de capitalisme et de rentabilité, c'est une pure recherche de satisfaction intellectuelle. La notion de "bon moment partagé avec des personnes que l'on apprécie" m'est relativement étrangère. Considération sociale et sentimentale, une fois encore.]