Félicitez-vous d'avoir fait quelque chose qui ait brisé la monotonie de votre époque
disait Ralph Waldo Emerson.
Et mon collègue de 42 ans qui songe à changer totalement de direction, histoire de pouvoir laisser une trace avant de mourir, "dans moins de 20 ans sûrement" dit-il.
Je ne pense qu'à ça, laisser une trace. Sinon autant se suicider tout de suite. Je ne supporte pas le point atteint en ce moment par la civilisation occidentale : jouissance personnelle à outrance. C'est sûr qu'avec ça on fait progresser les choses. Le pire c'est qu'on peut imaginer que toutes les civilisations qui ont du "retard" sur les occidentaux, et dont certains pays sont d'ailleurs en train de le combler, prendront la même route que nous. Cela semble une si grande préoccupation d'atteindre d'abord un stade où l'ensemble de la population a dépassé le stade de la survie, d'une gestion trop permanente de combler ses besoins, mais il a été à un tel point dépassé qu'on ne s'est pas rendu compte qu'on est parti dans l'excès inverse, c'est-à-dire l'apologie du matériel et du sensoriel, des plaisirs et de la jouissance. Au nom du bien être personnel, l'occidental moyen a bien souvent complètement oublié qu'il faisait partie d'un tout appelé planète, dont il dépend, appelé population mondiale, appelé humanité.
Les occidentaux ayant dépassé les problèmes de pure survie, en moyenne, ils se rendent à peine compte que justement le terme moyenne signifie que les inégalités sont loin d'avoir disparu dans le pays même où ils habitent. Mais ceux qui n'ont plus comme préoccupation quotidienne leur survie sont censés être les mieux placés sur ce globe pour pouvoir s'occuper d'enjeux plus globaux. Or quelle part d'entre eux s'en préoccupent ?
Je ne sais pas ce que je peux apporter. Mais je citerais à nouveau ce passage de Dagerman :
"Si je veux vivre libre, il faut pour l'instant que je le fasse à l'intérieur des formes figées de la société. Le monde est donc plus fort que moi. A son pouvoir je n'ai rien à opposer que moi-même - mais, d'un autre côté, c'est considérable. Car, tant que je ne me laisse pas écraser par le nombre, je suis moi aussi une puissance. Et mon pouvoir est redoutable tant que je puis opposer la force de mes mots à celle du monde, car celui qui construit des prisons s'exprime moins bien que celui qui bâtit la liberté."
Je ne suis sûrement pas doué à grand chose, mais je sais penser et écrire. Une des choses difficiles pour moi sera d'apporter du matériel et des expériences nouvelles comme sources de pensées. Mais ne serait-ce que la littérature, les écrits des philosophes, les expériences relatées par des écrivains, fournissent déjà beaucoup de matière. Qu'il faille soi-même faire et soi-même vivre n'est à mon avis qu'en partie vrai.
Quoi qu'il en soit donc, dans la mesure du possible, dans la mesure surtout de mes fragiles capacités à vivre, je ferai de mon mieux.