20.2.14

Le corps, l'alcool, l'écriture, le liant et le désespoir

Enveloppé d'un certain désespoir je reprends mon clavier 48 jours après la dernière fois et en un sens c'est déjà beau. La beauté, valeur ultime...

On pourra se demander ce qu'il y a de réjouissant à être désespéré. Rien. C'est juste de réécrire. Mais est-il suffisant de réécrire pour se réjouir ? Sans doute pas. C'est comme de se réjouir de lire alors qu'on lit un mauvais livre. Voyez comme ceux qui vous disent que ce que vous appréciez est mauvais vous nuisent. On devrait toujours s'abstenir, ou au moins avec ceux qui se désespèrent facilement. Avec ceux qui n'apprécient pas grand chose. Considérons à sa juste valeur la rareté du fait qu'ils apprécient quelque chose, et abstenons-nous de gâcher leur trop rare plaisir. Évidemment on n'ira pas jusqu'à louer la chose appréciée en question si on ne peut y voir aucun intérêt soi-même, on s'abstiendra simplement et ça sera déjà louable.

Il y a une dizaine d'année, je réclamais de n'être qu'un esprit, pas un corps. Rien n'a tellement changé. Ce corps m'embarrasse tellement. Il m'est tellement inutile. Bien sûr on ne peut sans doute s'empêcher de penser à un délire adolescent, dénué de sens, tellement éloigné de la réalité. C'est l'expression juste me caractérisant plutôt bien : tellement éloigné de la réalité. Justement. Que je puisse encore considérer à ce point que mon corps m'embarrasse, alors qu'objectivement il ne présente aucun défaut catastrophique, rédhibitoire ou que sais-je dans ce style, est révélateur. Du retour de l'accablante lassitude sans doute, entre autres.

Je me faisais la réflexion que le vin c'était particulièrement "vivant". Je peux mettre la bière dans la même catégorie. Il n'y a rien de très étonnant, finalement, à ce que ces breuvages soient aussi appréciés. Les gens vivants aiment les choses vivantes. Cela doit être pour ça que je n'aime ni la bière ni le vin. En ce moment c'est un rhum qu'on m'a offert qui m'aide à surmonter ma tristesse. Si on peut dire, car je doute qu'il m'aide en quoi que ce soit. Je ne le bois que pur et il n'a pas de réelle consistance physique. Lorsqu'il n'y en aura plus j'achèterai peut-être une bouteille de vodka. Même concept de mélange un peu abstrait sans consistance, presque sans existence matérielle. Les gens vivants aiment les choses vivantes, ceux qui se contentent de survivre se contentent de ce qui n'existe presque pas.

Le désespoir ne vient pas de nulle part non plus. Il vient en bonne partie de ma tentative de me rouvrir au monde. Oh, oui, c'est vrai, c'était tellement prévisible, je vous l'accorde aisément et instantanément. Comme je l'écrivais c'est vraiment ça : "se rouvrir au monde ? Risqué. Ne pas le faire ? Tellement peu ambitieux". Je devrais peut-être enterrer mon ambition tout de suite et définitivement. Je l'envisage. Cela aurait du sens. Davantage que le suicide par exemple. Tout a plus de sens que le suicide non ? Pratiquement.

Ma gorge me brûle du rhum ingurgité et en un sens c'est bon. Car brûler de quelque chose c'est déjà ça. Généralement je manque cruellement de la moindre brûlure. Ce serait plutôt une froide inertie, plutôt glaçante qu'autre chose.
Le chaud, le froid, sans doute des métaphores de collégiens. En plus j'ai tellement horreur des collégiens. J'allais dire que c'est Legardinier qui déteint sur moi mais ce serait trop facile, je me souviens que je faisais déjà ce genre de métaphores avant. Après on me prétendra que j'ai confiance en moi. Si je dois avoir confiance dans un domaine, ce serait peut-être l'écriture pourtant. Je crois que tout est dit dans ce paragraphe. Que je sois légèrement alcoolisé ou non. Car je doute de perdre tellement en lucidité.

"Brûler de quelque chose", franchement c'est déjà positif, dans tous les cas. En un sens c'est un peu comme ressentir une émotion négative, au moins c'est ressentir une émotion. Je ne crois pas qu'il y ait pire que ne rien ressentir du tout. Pourtant c'est une vraie question, et autrefois j'étais d'avis que le vide était préférable au négatif. Aujourd'hui je ne suis même pas certain d'avoir un avis tranché sur la question. S'il faut avoir confiance en soi pour être attractif, ce n'est vraiment pas gagné. Peut-être même est-ce simplement déjà définitivement perdu. Oui j'aime bien utiliser le mot définitivement. Peut-être un rapport avec ma manie d'évoquer le suicide.

Il est amusant que j'utilise toujours autant ce mot. Enfin "amusant", je me comprends. Seule une personne l'ayant utilisé et considéré à de nombreuses reprises est sans doute capable de trouver ça drôle. Je me rappelle du rapport quasi amical que j'ai avec la mort et en un sens cela me rassure et rompt partiellement mon désespoir. Oui c'est un peu ironique, mais néanmoins. Rappelons que la peur est sans doute l'un des sentiments les plus négatifs et destructeurs. Oui il est, là encore, extrêmement ironique que j'aie toujours eu peur du suicide mais jamais de la mort. Soit il y a du sens derrière tout cela, soit j'écris vraiment n'importe quoi, au choix. La deuxième possibilité n'est certainement pas à négliger. La confiance en soi toujours, oui...

Écrire, est-ce si réjouissant ? J'y reviens. Et en effet ce n'est vraiment pas si clair. Exutoire ? A voir. On peut toujours se le faire croire. Je me le faisais assurément croire quand j'étais plus jeune. Aujourd'hui franchement je me pose la question. Il est deux heures du matin, un peu comme à l'habitude, et je suis pour le moins sceptique sur le fait qu'écrire ce texte me soulage en quoi que ce soit. Cela ne le fait peut-être simplement en rien du tout. C'est une hypothèse parfaitement recevable il me semble.
Suis-je doué pour créer du vide, du désespoir ? Dans ce cas je serais au moins doué pour quelque chose. Non d'accord cette fois c'est beaucoup trop facile et ça fait vraiment trop collégien. Même s'il me semble que ça donne, une énième fois, une idée de mon degré de confiance en moi.

Je voulais aussi parler des éléments "qui donnent du liant". Je les avais évoqués dans une note, il faudra que je la retrouve. C'était une des rares fois où j'avais partiellement réussi - je crois - à expliquer pourquoi j'éprouvais autant de difficultés à vivre. J'évoquais tous les petits éléments qui aidaient les gens à vivre, ces petits éléments qui font passer d'une chose à une autre, de manière relativement plaisante. Discuter. Manger. Voir. Entendre. Sentir. Ressentir. Apprécier. Aimer. Aspirer à. Se laisser bercer par. Ce genre de choses. En général ces éléments aident. Moi la plupart du temps ils me nuisent. C'est la différence. C'est une différence considérable. Et elle n'est pas là une fois de temps en temps, elle est tout le temps présente. Chaque minute, presque chaque seconde. Dans l'ensemble je dois lutter contre ces éléments, alors qu'ils sont censés porter quelque peu, soutenir. Et si globalement je parviens plus ou moins à les oublier, fruit d'une grande habitude, il est tout à fait chronique que j'en vienne à capituler. Alors le désespoir s'abat. Il n'était jamais très loin mais il se faisait un peu oublier. Façon de parler. On ne peut jamais l'ignorer totalement. C'est lui qui m'a poussé à écrire. J'ai commencé cette note par lui, et je la termine par lui.