22.6.13

De l'art d'être toujours en vie (partie 1)

Minuit vingt, légèrement enivré. Sans doute la faute à Junko. S'alcooliser avant d'écrire, tout ça.

Je n'ai pas écrit depuis le mois de septembre. J'ai posté 4 notes en 2012, soit autant qu'en 2011, alors que je tournais à 30 auparavant. Cela ne peut manquer de m'attrister. Il faudrait que je reprenne mes archives mais je me souviens avoir écrit la phrase suivante il y a quelques années : "il ne me reste plus grand chose, à part peut-être réfléchir et écrire". Je réfléchis toujours plus ou moins, enfin je crois, mais on peut dire que je n'écris plus. Tout du moins plus ici, car pour être honnête il faut préciser qu'il m'arrive régulièrement d'écrire quelques longs mails.

[Digression n°1 : comme à l'habitude j'ai hésité à écrire "courriel" plutôt que "mail" mais une fois de plus je trouve que "mail" (voire e-mail) sonne mieux. Ce "courriel", bien que pas antipathique en soi, a définitivement un goût de "on francise pour franciser", avec un petit arrière goût de "on a peur des mots anglais" qui crée une sorte de climat à moitié malsain. La langue anglaise, au contraire, n'a jamais hésité à ajouter un mot étranger dans ses dictionnaires, à l'intégrer à sa langue, sans forcément l'angliciser. Les États-Unis ont, par certains côtés, réussi l'intégration des personnes et des cultures étrangères, même si un débat mettrait probablement en lumière certaines limites de l'intégration américaine. En France au contraire on a cette impression persistante qu'on a un souci pour réussir l'intégration de ce qui est étranger. Trop grande fierté ? Entre autres sûrement. Combien de temps mettra la France pour apprendre à se montrer modeste ?]

Je ne peux m'empêcher de penser que si je n'écris plus c'est parce que je n'ai plus rien d'original à dire. C'est le plus probable d'ailleurs, car on ne peut pas dire que ça soit la faute à des éléments extérieurs. Ce ne serait peut-être pas 100% faux, mais on serait tout de même loin de la vérité... Oui je ne supporte pas que l'on considère qu'une chose soit forcément ou vraie ou fausse alors que la réalité se situe si souvent quelque part entre les deux. Probablement une courte digression parmi d'autres, et probablement que le schéma "digression n°x" est mauvais et va très vite être mort-né.

Plus grand chose d'original à évoquer, certainement parce qu'il n'y a pas grand chose d'original qui se produit dans mon existence. Quoique j'imagine bien que nombre de personnes ayant une existence tout à fait dénuée d'originalité, ou de changement, parviennent à écrire régulièrement. Cela me mène à la raison suivante : je n'ai pas particulièrement envie de vivre, aujourd'hui pas plus qu'hier pour être métaphorique, et j'imagine que cela ne donne pas particulièrement envie d'écrire s'il ne se passe rien de notable. Ceux qui aiment vivre ont très probablement des impressions régulières de changements, ils sont peut-être régulièrement surpris par ce qui se produit dans leur existence. Et au minimum ils apprécient régulièrement des instants et peuvent avoir envie de les partager ou de les écrire pour en garder la trace, ou les apprécier encore davantage en prenant du recul sur l'appréciation initiale.
Certes, on peut vivre régulièrement des moments désagréables et écrire dessus. Je suis bien placé pour le savoir pour l'avoir fait par le passé. Simplement cela atteint rapidement ses limites s'il n'y a pas de changement.

Ce mois-ci j'aurai trente ans et cela fait penser à l'heure des bilans, tout ça. De mon côté j'ai davantage de raisons de vouloir faire le point sur la décennie écoulée. Il y a 10 ans j'avais particulièrement envie de me suicider, pour des raisons très étudiées et rationnelles. J'ai fait un court séjour en clinique psychiatrique, qui ne m'a pas apporté grand chose. J'ai ouvert mon blog précédent sur lequel je suis resté quatre ans et demi, postant 294 notes, avec beaucoup de déchet forcément. Sur le blog suivant - celui-ci - j'ai principalement posté 103 notes de 2008 à 2010, avec une qualité a priori bien meilleure.
Il y a 10 ans je commençais à travailler sérieusement le scrabble, je jouerai justement 10 saisons, ponctuées par des sélections en équipe de France. Je serais injuste si je disais que je n'ai passé aucun bon moment et pris aucun plaisir durant ces dix dernières années, et le scrabble, que cela soit à l'entraînement ou dans les tournois, fait assurément partie de ce qui m'en a procuré des quantités non négligeables. Par extension, dans mon existence en générale, c'est l'une des rares choses qui y soient parvenues.
Je ne l'oublierai pas et il est fort possible que je reprenne la compétition dans quelques années, si je suis toujours en vie. Je remarque que j'utilise toujours cette formule, vestige de cette vieille habitude de considérer que le suicide est toujours une option envisageable. En vérité si je le programmais très sérieusement en 2002-2003, je crois que je ne l'ai plus sérieusement considéré de manière concrète dès cette année-là. Davantage de manière théorique. Et je ne pense pas que ça soit un domaine où on bascule aisément de la théorie à la pratique. Avant de refermer cette nouvelle digression, j'ajoute qu'en 2007 j'écrivais qu'à l'image du Loup des steppes de Hesse "le suicide reste ma fin la plus probable".

Une deuxième chose que je considère positive durant cette décennie, et sans qu'il y ait une notion d'ordre, est la vigueur de ma passion échiquéenne. J'étais un peu inquiet aux alentours de 2001 à ce sujet, même s'il faut dire que c'était globalement une période difficile pour moi. Mais d'une manière générale les doutes ont rapidement été balayés. Je me souviens de ma conclusion de ces années-là : une passion seule, aussi intense soit-elle, ne peut porter suffisamment une personne qui n'a pas envie de vivre. En un sens l'arrivée du scrabble à haut niveau a été salvatrice, cela a créé un schéma qui intégrait les deux passions, schéma certes toujours extrêmement précaire et fragile, mais plus ou moins équilibré et viable. Même s'il faut naturellement tenir compte d'un autre élément important, mon activité professionnelle.

Je poursuivrai dans d'autres notes, car le bilan complet de la décennie en une seule serait un peu indigeste. Ou ce ne serait pas un vrai bilan, seulement un simulacre.